Wednesday, March 27, 2024

Laure, je voulais raconter comment ça c’est passé, ça m’est revenu. Je passe sur tout le cauchemar de toute ma vie, bon, ça, plus tard, il faudrait un livre, une confession. Mais l’année dernière, au festival du Cinéma du réel (que je suis de nouveau en ce moment), on a projeté le film de Claire Simon sur l’hôpital où j’ai vu que mon ami Nicolas Johnson était devenu — je savais que de dentiste il avait repris ses études pour devenir médecin, mais je ne savais pas qu’il était devenu médecin justement pour les trans (dans cet hôpital). Il m’a dit de l’appeler pour prendre rendez-vous. A l’époque, j’en avais déjà parlé à ma copine, je lui avais dit que j’allais peut-être devenir une fille et elle m’avait répondu : « Je préférerais que tu deviennes un garçon ! », ça m’est revenu, ça aussi, j’en parlais dans mon dernier spectacle. (On n’en est pas tellement plus loin actuellement…) Et puis Nicolas Johnson ne m’a jamais donné de rendez-vous, sais pas pourquoi, malgré plusieurs messages, il ne me répondait que quand il était en Grèce pour me dire de le rappeler à son retour, il est vrai que je ne suis pas passée par les canaux officiels… Et puis, donc, en septembre, il y a eu la rencontre de cet étudiant de l’école du TNB qui avait toute l’apparence d’une fille et qui s’appelait Lucille, mais : il. Et j’ai vu sur le site du ministère qu’on pouvait changer la mention du sexe dans les actes de l’état-civil sans nécessairement avoir subi un traitement médical ou avoir été opéré. J’ai donc décidé de commencer ma liberté par là…
Au plaisir, Laure, 
Marie-Noëlle

Labels:

Monday, March 25, 2024

R éponses à un questionnaire

 

    Voici. Merci de votre délicatesse — et de votre insistance —, Philippe !

    J’espère qu’il n’y a pas trop trop de coquilles et d'incompréhensions (j’ai relu, mais…) Il y a sûrement beaucoup de naïvetés !

    Marie-Noëlle


  1. Peut-être, oui. J’ai produit un très grand nombre de performances, je ne les ai jamais comptées (les spectacles, oui, jusqu’à 130 — et j’ai arrêté ensuite…) J’avais l’habitude de dire que les performances n’étaient que des spectacles avec moins d’argent, que la différence de dénomination s’arrêtait là. Je pense que je voulais insister sur le fait de ne pas confondre ce que je faisais avec ce qui s’est inventé historiquement dans les beaux-arts. J’ai toujours eu un complexe par rapport à l’histoire de l’art (je voudrais, maintenant que je cherche une reconversion, prendre des cours d’histoire de l’art). Mais cette non-différence entre nos performances et nos spectacles signe aussi que les spectacles relevaient sans doute aussi de la « performance » — peut-être dans le sens que ce qui m’intéressait, c’était la première fois. C’était le premier geste d’un interprète sur le plateau. C’était ce premier geste que nous gardions, geste prétexte, on n’en cherchait pas un autre. J’ai toujours eu très peu de temps de répétitions pour créer mes spectacles (pour une raison, celle de ne pas pouvoir se payer ce temps de travail et aussi par nécessité d’avoir le lieu-même de la représentation à disposition), mais ce temps très court, je le réduisais encore en programmant des avant-premières (au moins trois) et surtout en réalisant le spectacle le plus rapidement possible, immédiatement, le premier jour si possible, presque en temps réel — et de ne plus le retoucher ensuite, plus du tout, rien changer, les journées restantes servant alors seulement à retrouver cette qualité pour moi inouïe de la première fois. Cette qualité qu’on pense ne jamais pouvoir retrouver, mais qui se travaille, nous y arrivions. Un avantage de travailler cette qualité de la première fois, c’est qu’elle nous mettait de plain-pied avec les spectateurs du spectacle (ou de la performance) puisque, pour eux aussi (à moins qu’ils reviennent), c'est la première fois. C’est peut-être cette idée qui me rattache à la performance. Mais nous, nous en faisions des spectacles…
  2. Mon travail relevait du théâtre (je suis comédienne), mais il était présenté dans des lieux de danse (et j'employais beaucoup de danseurs). Les festivals de danse étant en France sans doute plus ouverts pour présenter de telles formes « hybrides ». C’était un théâtre dégagé de la notion — si actuelle — d’être en colère (la notion théâtrale de drame). C’est d'ailleurs peut-être une des raisons pour laquelle il ne se joue plus. Nous sommes dans une époque où la colère est sans cesse valorisée — tout le monde est en colère ! —, alors que — faut-il le rappeler ? — la colère faisait partie, il y a peu, de la liste des péchés capitaux…
  3. Répondu comme je l’ai pu en 1) et en 2)
  4. Ça, c’est bien. Toute appropriation est bonne, à mon sens (y compris la « culturelle »)
  5. J’ai employé le terme de « performance », mais je n’ai pas employé les autres termes que vous proposez. « Art-action », je ne sais pas ce que c’est. « Art expérimental » : à vrai dire, au fond, je n’avais pas vraiment l’impression tellement d’expérimenter (malgré les intitulés des festivals qui me programmaient, certes expérimentaux), c’était juste faire du théâtre comme je l’entendais, me mettre sous les yeux les spectacles dont je rêvais, que je ne voyais pas ailleurs, que j’avais envie de voir (ni non plus d’inventer de « nouvelles formes » comme d’autres que j’admire le font). L’« art indisciplinaire » me plaît parce que j’y entends « indiscipliné », mais je n’employais pas non plus ce terme…
  6. Ça, je ne sais pas. Je ne saurais dire ce qu’il faut faire (ou pas). Je pense que, oui, on peut l’inclure dans le domaine du spectacle vivant.
  7. Idem. Je ne saurais dire
  8. Je n’ai jamais demandé d’aide sauf quand on a trouvé mon travail assez important pour venir me chercher, m’inciter à en demander et m’aider à en préparer les dossiers (la DRAC). Ainsi, j’ai bénéficié pendant deux années d’une aide à la compagnie. Au bout de deux ans, mes bienfaiteurs étant partis, j’ai été virée…
  9. Comme je le suggère à la question précédente, je suis bien incapable de demander une quelconque aide. Mais je ne suis contre rien
  10. J’ai fait une école de théâtre (à Chaillot et à l'Odéon, Ecole d’Antoine Vitez), un stage d’Actors studio avec Blanche Salant et de très nombreux stages et cours de danse, un peu de chant… Mais ce que j’ai appris, j’ai le sentiment de l’avoir appris sur le tas (en travaillant, au début avec Claude Régy puis avec François Tanguy) — et aussi de l’avoir reçu de la vie toute entière, éternelle étudiante, les spectacles que j’ai vus très, très jeunes (Klaus Michael Grüber, Pina Bausch…) qui m’ont marquée de manière indélébile et les rencontres aussi que j’ai faites très jeune (Marguerite Duras, surtout). Par la suite, par les interprètes avec qui j’ai travaillé aussi… Tout est rencontre et prédestination…
  11. Oui, bien sûr, on peut toujours enseigner la performance. Ça m’intéresserait, en tout cas, en tant qu’étudiante. J’ai d’ailleurs travaillé et créé une pièce (Felix, dancing in silence) dans une école de Berlin rattachée à l’université qui était une école — malheureusement j’ai oublié son intitulé — qui préparait les jeunes danseurs (venus de toute l’Europe) à la performance (avec très peu de classiques cours « techniques », ce qui manquait peut-être aussi, par ailleurs…) 
  12. Le festival Actoral (qui m’a beaucoup programmée), par exemple, à Marseille. Mais il n’existe plus… L’Arsenic, à Lausanne, qui m’a aussi beaucoup programmé. La Ménagerie de verre, bien sûr… Le festival de Silvia Fanti, à Bologne, où j’ai été aussi plusieurs fois… (Etc.)
  13. Je n’ai plus de réseau, je ne peux parler presque qu’au passé. Les gens sont décédés ou partis à la retraite. La roue tourne. Marie-Thérèse Allier est morte, Hubert Colas a été viré, pour ne nommer que les deux qui m’ont le plus fidèlement programmée… 
  14. Oui, il existe une économie privée de la performance. Il m’arrive de donner, par exemple, des lectures performées dans des librairies, des galeries ou des lieux privés gratuitement ou contre un peu d’argent. J’ai aussi joué dans le off d’Avignon trois années (avec mes fonds propres et à la recette)
  15. Je ne sais pas. Ce qui existe m’émerveille souvent. Ce qui sera changé sera bien aussi, sans doute mieux. J’ai confiance, j'ai confiance, oui, dans les gens qui veillent sur les choses, la démocratie, les protègent ou les génèrent, malgré toutes les erreurs. Mais je n’ai pas de conseil comme ça qui me vienne
  16. Oui, il y a un travail de mémoire. C’est très important, la mémoire, parce que tout s’efface à chaque génération. C’est peut-être la grande difficulté pour l’espèce humaine. C’est très difficile, même à mon niveau, pour moi-même, car on vit dans une culture particulièrement lobotomisée et dépourvue de tout sens de l’histoire. Je paraphrase Salman Rushdie dont je viens de lire le Don Quichotte, mais je pense que Walter Benjamin parlait déjà de ça. Il faut lutter, ceux qui s’en sentent le courage, contre cette tendance lourde, fasciste, de l’effacement du passé…

Labels:

Friday, March 22, 2024

E lle



 

L es Singes anthropoïdes


Il fallait raconter ma vie qui n’était rien. J’avais passé un coup de fil, on m’avait rappelée et j’avais dit que je me trouvais bête. J’avais été au zoo du Jardin des Plantes, j’avais admiré les orangs-outangs et puis plein d’autres, j’avais regardé leurs yeux, les animaux se tenaient immobiles dans les vitrines et, moi, je passais de l’une à l’autre. La qualité de l’air était médiocre, mais c’était le printemps quand même, un printemps sale et comme moyenâgeux. Beaucoup de vieux dans les rues, sur les boulevards, les promenades, les esplanades… et beaucoup de gens en bonne santé aussi, occupés, aussi occupés par leur bonne santé que les vieux par leur mauvaise

C’était à Paris, on aurait pu mettre la date, quelques jours après la date officielle de l'ouverture du printemps qui, cette année — j’avais lu un article là-dessus —, était tombée le 20 mars


Je ne savais plus à qui je parlais, je ne savais plus si je m’adressais, si je m’étais jamais adressé et à qui alors dans le cas positif


J’étais invisible ; ça n’avait pas toujours été, mais ç’avait été un tel travail d’être invisible que, voyez-vous, comment se plaindre ?


Pourtant je me plaignais. Je me plaignais et je me plaignais, mais ma plainte était inaudible 


La Pitié-Salpêtrière était un territoire considérable. Toute une vie là-dedans. Parfois, des étages, on voyait le restant de la ville infinie dans sa lumière éteinte, polluée, désertée, mais la ville quand même qui faisait comme si c’était…

On refaisait la gare, la station du métro qui la traversait était fermée. A côté de la gare on avait creusé un trou immense. C’était pour mettre les eaux de la Seine quand il y avait des crues — ou peut-être en attente d’être dépolluée, des eaux à traiter, quand il y en avait trop

(j’avais vaguement entendu)


J’avais traversé la Seine. C’était très beau, Paris, la Seine tumultueuse, boueuse, pleine d’enthousiasme — et Paris fidèle, pastel, éternel, éternellement jeune homme (ou jeune fille), mais Paris



Labels: ,

Oui, je me demandais aussi ce que j’allais faire de la voiture. Tout a été si brusque. Je voulais revenir dans la région. Mais je me le demande d’autant plus que, maintenant, j’ai été victime d’un accident ici à Paris le lendemain des obsèques de ma mère, le 1er mars donc. J’étais à vélo et je me suis fait renverser par une voiture. Je porte un corset jour et nuit pour 3 mois s’il n’y a pas de complication, coccyx, sacrum, vertèbres et côtes cassés, disques écrasés, j’ai pris 30 ans (grosse fatigue) et je vais et je viens entre cliniques et hôpitaux, le médical, quoi… Le moral tient bon, je crois, dans ce drôle d’état, mais je ne peux pas descendre pour le moment… Je n’écris plus sur IG parce que je suis bloquée, je n’arrive plus à y accéder (sans savoir ni pourquoi ni comment résoudre ce problème). Mais, tu vois, Messenger fonctionne. Merci de ton message, cher Laurent (+ Chantal)

Labels:

Thursday, March 14, 2024

D imanche à la maison


Abandonner ma mère, me restera-t-il à abandonner ma mère ? Oui, bien sûr, c’est un rôle qui m’a habité, ma mère, oui, bien sûr. Des exorcismes, des voyages, une autre vie… Il ne faut pas trop penser aux morts. Il faut penser à eux comme ils étaient. Pas morts. Mais ma mère, elle était, elle était… c’est difficile à dire, morte et pas morte comme un roman très difficile où il y a tout…


Je suis une vieillarde et ça ne fait pas une histoire


J’ai regardé encore (pour la millième fois) l’extraordinaire « Portrait-souvenir » sur Marcel Proust que l’on trouve sur YouTube, extraordinaire parce que parlent ici ceux qui l’ont fréquenté — et la concomitance avec Don Quichotte me frappe. Une vocation, c’est-à-dire une vie dédiée (à une œuvre), une idéologie puissante, personnelle, de la folie de laquelle on ne peut pas démordre (dans le cas de Proust : la solitude inaliénable de l’être humain, le faux, l’impossibilité de toute relation humaine, amour, amitié) et l’extraordinaire courage pour retourner le monde, le redonner, le renommer, le monde, à son idée personnelle, pour le recomposer, pour le faire exister exactement comme un monde libre et neuf, comme un monde personnel non reconnu par les autres au premier stade, mais qui sera reconnu plus tard par la notoriété. Un monde introspectif pour se connaître soi. A partir de là, toutes les extravagances, on se balade dans la réalité comme un clown, en inversant la nuit et le jour, en amusant la galerie, hypersensible, en n’étant — très sérieusement — qu’au service de l’œuvre, de la grande œuvre, exactement comme le dit Nehémie dans la Bible (en substance car c’est plus long et plus beau) : « J’accomplis un grand travail et je ne puis en descendre », en faisant face avec courage, en combattant avec lucidité les ennemis-enchanteurs prêts, toujours, à détourner de l’accomplissement de l’œuvre, allant même, dans le cas de D Q, jusqu’à voir s'en publier un plagiat, des pages et des pages d’une œuvre fausse. Et puis, bien sûr, le réel finit par regagner, le temps d’accomplissement se fane… Mais peut-être que, comme Proust, D Q, avec l’aide de ses scribes narrateurs et des lecteurs, réussit aussi à mettre le mot « Fin » à son œuvre avant de mourir, à ne pas laisser l’œuvre inachevée : un monde mort (la chevalerie) continue d’exister ; un monde sorti des livres donc du passé, exhumé et réalisé, retourne au Livre — à la fin du livre, le livre commence —, à la parole voyageuse, divine, sans fin, pour les siècles des siècles 


« C’est le Dieu du ciel qui nous fera réussir, et nous, ses sujets, nous nous levons et bâtissons »


Lire, c’est souvent (essentiellement ?) penser à sa vie comme un tel échec (douleurs données, douleurs reçues, disons) qu’il n’y a plus que les mots (qu’on les comprenne ou non ou seulement en partie) pour survivre. C’est peut-être ça, lire…


Il fut un temps où la colère était un péché. Au point (si vous me permettez un souvenir personnel) que Claude Régy, dans ses cours ou ses mises en scène, affirmait que la colère était aussi une énergie positive, un déferlement d’énergie qu’on pouvait admirer, mais il le disait parce qu’il aimait prendre le contre-pied. C’était un temps où être artiste, c’était prendre le contre-pied (il aurait voulu démontrer aussi qu’on vivait — ou peut-être seulement lui ? — dans un matriarcat, plutôt que dans le patriarcat que tout le monde vilipende — ce temps n’est peut-être pas totalement différent du nôtre —). Mais la colère, autrefois péché mortel, est maintenant porter aux nues : vive la colère ! la colère rien-que-ça-de-vrai ! la colère plus-vraie-tu-meurs ! la sainte colère ! la colère en-veux-tu-en-voilà ! Il faudrait donc qu’un Claude Régy (qu’un artiste, quoi) prenne le contrepied et prône les énergies de la tendresse, de la compassion, du pardon, de la charité, de la tolérance… 


Mais ce temps a eu lieu et j’étais cet artiste. Dans quel temps, mon Dieu, vivons-nous ?


« Toute quête, répondit Quichotte, se déroule à la fois dans la sphère du réel, ce que les cartes [routières] nous enseignent, et dans la sphère du symbolique dans laquelle les seules cartes sont celles que nous avons, invisibles, dans l’esprit. Cependant, le réel est aussi le chemin vers le graal. Nous poursuivons certes un but céleste, mais n’en devons pas moins emprunter les autoroutes. » (Très belle page 149, je ne recopie pas tout)


Einstein essaye de comprendre les lois de l’univers. Mais c’est imaginer que l’univers possède une rationalité. Une rationalité qui nous échappe. Hors il y a une limite à ça, c’est la rationalité. L’univers est peut-être plus certainement fou. (Je ne sais plus où j’ai lu ça)


Mon corps tout contre ton corps évoqué par tel


Alors, t’as réussi à dire beaucoup de mal de moi, aujourd’hui ? C’est ta principale activité amoureuse, non ? 


« Je soupire au défaut des défuntes pensées »


« la nuit sans date de la mort »


J’étais heureuse de personne, mais de la lumière qui baissait, inconsciente (sur les pages d’un livre que je ne pourrais bientôt plus lire)


Pourquoi ai-je eu cet accident ? Il y aurait tant de réponses. De réponses imaginaires. Parmi le tas, peut-être une seule vérité — ou peut-être que la vérité, s’il y en a une, serait la somme exhaustive — ou non — de plusieurs réponses, de plusieurs hypothèses…


Mes ongles poussent, en tout cas


Si tu as envie de trouver le chemin pour m’aimer…


« et, dune voix empreinte d’une adoration sans espoir »


Labels: ,

Tuesday, March 12, 2024

S ainte-Croix



Labels:

C onversion


J’étais allée dans une église. Aux piliers chenus de cette église, dans les collatéraux, il y avait des anneaux scellés : c’était pour attacher les possédés et pour les tenir près des reliques (les ossements) du saint dont l’église honore la mémoire, Saint Mommolin, supposées capables de guérir les aliénés. 


L’église n’ouvre que le vendredi après-midi et le dimanche matin pour parfois deux messes (l’une en polonais), faute de bénévoles. Elle est dans un état de décrépitude et de santé formidable. On y sent l’atmosphère de toujours, assez « Espagne », la misère et la splendeur. Beaucoup de tableaux sont pendus comme pour une expo dans une ruine inutilisée (comme au palais des Papes d’Avignon). 


Il y a un Christ très beau, probablement espagnol, chauve (une perruque de crin et une couronne d’épine ont dû disparaître), les pieds écartés. Il a été placé sur une vilaine croix du XIXème siècle. 


J’ai mis un cierge dans cette église devant la chapelle de la Vierge Marie, j’ai fait la génuflexion quand je suis passée devant le chœur, j’ai senti que tout cela était bon. J'ai senti que je n'avais plus la force du doute. L'horrible force. J’ai cru au message affiché (j’ai pleuré) : « Vous qui entrez dans cette église, sachez que le Seigneur est là, qu’Il vous attend et vous invite à passer un moment avec Lui. Parlez-Lui, Il vous écoute… Partagez-Lui vos désirs, vos peines, vos souffrances, votre vie, vos joies, vos blessures. Tout L’intéresse et Il n’a peur de rien. Laissez-Le vous aimer, Il est là pour vous ! Vous pouvez ne rien dire car Il sait tout de vous, mais Il ne peut rien sans vous, que vous offrir Son amour. Sachez seulement que Jésus est là, présent dans cette église ». C’était écrit avec des coquilles et, maintenant, de recopier (et de corriger) cette prière, bien sûr je pleure encore. Le sacré offre un frisson terrible et fabuleux : et si c’était vrai ? Ne faudrait-il pas tout abandonner, tout donner ? Je déposais mes malheurs et ma souffrance physique au pied de tous les siècles de croyance de tous les morts si nombreux, si vivants. Je priais pour que ma mère voyage dans la lumière, que je me détache d'elle comme elle devait se détacher de moi, que je ne me jette plus sous les voitures. Je comprenais pourquoi, dans le malheur, on se tourne vers Dieu. 


Je comprenais que Paul Verlaine se soit converti en prison, Oscar Wilde au bagne. Le dimanche, j’arrivais trop tard pour la messe à Sainte-Croix, mais je rejoignis celle à Saint-Michel à quelques rues anciennes abandonnées de là. Là, je communiais. Je ne l’avais pas fait depuis des dizaines d’années, mais il y a un temps pour tout... 




« Saint Mommolin, honoré depuis 13 siècles dans cette abbatiale, écoute la prière que je t’adresse en toute confiance. Toi qui est connu pour ton intercession efficace en faveur de ceux qui souffrent, et plus particulièrement pour la guérison des blessures intérieures et des maladies psychiques. Je te prie pour... (nommer la personne). Que la paix du Christ descende dans son cœur et que Dieu, dans Son amour, lui donne la guérison et la force pour avancer et le goût de la vie. Par ton intercession, que Dieu se manifeste à tous ceux qui n'en peuvent plus et qui sont découragés et dépressifs. Enfin, que Jésus, mon sauveur, me guide vers la vie, la vie en abondance »

Labels:

Wednesday, February 28, 2024

L 'Etranger


Ma mère est morte dans l’après-midi du 21 février. Elle avait fait un malaise après le déjeuner, on l’a envoyé aux urgences, on a appelé mon frère qui m’a appelé. Je me suis inquiétée de l’attente aux urgences, qu’elle ne vive pas ce que le père de Philippe Duke a subi et qu’il a bien décrit sur IG (72h dans un couloir des urgences sans qu’on puisse ni le sortir de là ni être avec lui). Un peu plus tard, le médecin a appelé (mon frère qui m’a appelé) pour dire que c’était la fin, pour demander s’il fallait la mettre sous machine pour la maintenir en vie ou simplement l’accompagner à mourir par un soin de confort. Et pour nous aider à faire ce choix, le médecin a dit : « Pour ma propre mère, je ne le ferais pas » (de la maintenir sous machine) « Pas dans son état » (Alzheimer). On a essayé, mon frère et moi, calmement de faire le tour de la question, de peser le pour et le contre, de « réaliser » ; dans mon cas, c’était un peu plus difficile que pour mon frère (je le sentais) car je n’avais pas eu le médecin au tél. Mon frère m’a rappelé que, pour mon père, on avait eu peur de l’« acharnement thérapeutique ». C’est vrai. L’argument a fait mouche. Je craignais, je crains (comme Marcel Proust) l’acharnement thérapeutique, même si, de la mort officielle, sont ressortis plusieurs exemples, le père de Philippe Duke récemment, Marguerite Duras... J’ai donc été obligée de dire que j’étais d’accord pour ne pas la mettre sous machine. Mon frère avait souhaité venir la voir avant sa mort, le médecin avait dit : « Vous n’arriverez pas à temps ». Quelques dizaines de secondes plus tard, mon frère m’a rappelé pour me dire que, la question ne se posait plus, notre mère était morte. Le dilemme. La réflexion même rapide. Notre mère était morte. D’autres questions, d’autres réflexions rapides allaient s’enchaîner, crémation (mon frère est pour) ou enterrement (je suis pour), etc. Ce n’était pas la peine de se dépêcher pour venir le jour-même a dit le médecin, le lendemain suffisait, il n'allait plus rien se passer aujourd’hui. J’ai pensé assez immédiatement à la phrase d'Albert Camus : « Aujourd’hui maman est morte », j’ai aussi pensé — en tout cas, maintenant j’y pense — à plein de choses confuses de mon enfance, des images échevelées de bord de lac, de décalage, une tante, un lieu où j’aimais bien allé, où j’étais plus conscient, plus éloigné du malheur de la cellule familiale. Ce lac aussi qu’il fallait longtemps longer en voiture sur une route étroite et sinueuse, prise dans la falaise où j’avais senti ma grand-mère collée à moi psalmodier en presque silence et où j’avais pensé, j’étais jeune encore, qu’il faudrait l’enregistrer, l’interviewer et l’enregistrer avant qu’elle meurt parce qu’avec elle tout un monde ou même des mondes au pluriel disparaîtraient, c’était une chose, un bon projet de ma vie, une chose « bien », mais je ne l’avais pas fait (et d’ailleurs peut-être que j’en avais déjà conscience en y pensant), je n’avais pas enregistrer ma grand-mère avant qu’elle meurt, ma grand-mère à qui je ne parlais pas… « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » Le 21 février, à 15h15, nous a-t-on dit à l’hôpital, c’est la première chose que j’ai notée, l’horaire. Puis j’ai noté l’énumération de ses noms, Jeanne Marguerite Moalic. Je ne savais pas pour « Marguerite ». Et puis c’était écrit sur un panonceau posé sur le bureau : « VOUS ETES ACCUEILLI PAR FABRICE GREMY AGENT AMPHITHEATRE ». Et puis donc Fabrice Gremy — qui avait une tête à se promener dans le marais à des horaires très tardifs — nous a demandé si on voulait la voir ou si on ne voulait pas plutôt « attendre qu’elle soit plus jolie, qu’elle soit habillée, tout ça… » Je lui ai demandé ce que voulait dire « agent amphithéâtre » et Fabrice Gremy m’a répondu et, ça aussi, je l’ai noté : « A une époque les cours sur la mort se faisait dans las amphithéâtre et la personne qui amenait les corps dans l’amphithéâtre s’appelait « l’agent amphithéâtre » Un temps et comme c’était tout, j’ai dit : « — Et c’est resté ? — Et c’est resté ». Nous étions au « service mortuaire ». J’ai relu (je les relis maintenant) les premières pages de L’ETRANGER que j’ai trouvées sur le Net. C’est la même histoire, rien à redire. La phrase : « On n’a qu’une mère » a été prononcée plus d’une fois. On s’est dépêché avec mon frère de tout faire, on pensait qu’on avait beaucoup de choses à faire, trouver des pompes-funèbres, organiser les funérailles, déménager la chambre de la maison de retraite, la banque, etc., mais à la fin, on était bien en avance, on n’avait plus rien à faire, ça nous a étonné, alors ça a été comme le médecin l’avait dit la veille : « Il ne se passera rien de plus ». A la maison de retraite, Denise que, dans la précipitation, j’ai quand même saluée a réussi presque à me faire rire en me disant que sa mère à elle non plus n'allait pas bien, que le médecin lui avait fait comprendre que  « c’était  la fin ». « On n’a qu’une mère », etc. J’ai dit à mon frère quand tout fut fini (la journée) qu’il faudrait que je revienne à la maison de retraite pour remercier tout le monde de l’attention donnée à ma mère pendant ces 2 années merveilleuses, en fait, oui : ces 2 années merveilleuses, j’aurais voulu revenir, j’aurais voulu rester comme je le voulais souvent lors de mes visites : moi aussi y être, être là. Le mot « condoléances » prononcé quand je passe même par la femme jusque-là méchante...




Ma mère a vécu toute une vie, une vie entière dont nous avons un peu l’idée, le développement dans la tête, mon frère et moi ; en tout cas, par fragments. Les périodes, les évènements marquants, ce qui a été raconté, parfois mille fois, par elle-même, notre mère, son enfance, la famille, la guerre, l'après-guerre, sa jeunesse — ou, par les photos, nos enfances petites — et la vie amoureuse avec notre père que nous imaginions, que nous connaissons. Et puis ce mélange de leur pauvre vie à eux avec nos pauvres vies à nous — et puis des choses que nous ignorions, leur vie au-dehors, la vie professionnelle, amicale, la vie autre, métaphysique… Et ce que nous savons aussi, la honte de la mort de notre sœur, par exemple. Etc. 


Mais je dois dire que, dans mon cas, la vie de cette femme Jeannette Genod s’est relativisée et épanouie pendant les deux années qu’elle a vécu à la maison de retraite Le Bon Repos, de plus en plus atteinte par la maladie d’Alzheimer. Ou bien est-ce ma vie avec elle qui s’est, grâce à cette maladie, relativisée et épanouie. Je l’ai rencontrée à ce moment-là, dans ce monument d’oubli qui se construisait. J’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup aimé venir au Bon Repos une semaine par mois, le souvenir et les textes que j'en ai écrit en témoignent. J’ai rencontré ma mère dans une profonde gentillesse, démunie bien sûr, disponible à l’être, simplement vivante, vivante et s’approchant de la mort. La mort surgit au coin de la rue, mais tant qu’elle n’a pas surgi, c’est le jardin du Temps, c’est ensemble. Ce jardin, pour nous, c’était le square Simone Veil, anciennement des Quinconces, c’est là que nous étions parfois complètement seuls, complètements libres, émerveillés, à regarder la vie en face, la vie dans le temps. Je crois que ma mère expérimentait une profonde dépossession d’elle-même. Cette dépossession si désirable. Se quitter soi-même. En devenant « dernière », elle devenait « première » — comme il est dit, n'est-ce pas, dans l'Evangile. Il y a une chose qui l'amusait, par exemple, c'est quand elle me demandait : « Pourrais-tu me donner des nouvelles de ta maman ? Tu as bien une maman ? » — et que je surjouais l'air ébahi pour lui répondre




Et, ma mère, quand elle me dit : « Je t’aime beaucoup », pourquoi ne pas la croire ? 

Je caressais un livre sans couverture — c’était du Ronsard — en écoutant Lana Del Rey, BORN TO DIE

« We were born to die »

Tout est dit absolument 


« Redonne la clarté

A mes tenebres,

Remets en liberté

Mes jours funebres.


Amour sois le support

De ma pensée,

Et guide à meilleur port

Ma nef cassée. »

Labels:

Friday, February 09, 2024

C ol de Cuvillat